Par — 12 novembre 2017 à 16:35
Façade d'un établissement de BNP Paribas à Paris, en 2008. Photo Eric Piermont. AFP
Un des hauts responsables de la banque vient finalement d’admettre en interne que la sanction prise à l’époque à l’égard des harceleurs n’avait pas été assez sévère. Une défense ébranlée par un nouveau témoignage.
Nos récentes révélations sur l’existence d’un cas de harcèlement sexuel survenu en 2012 au sein de BNP Paribas n’en finissent pas de faire des vagues dans les couloirs de la banque. La plupart des collaborateurs du groupe ont découvert, médusés, l’histoire de cette salariée à la gestion financière, victime pendant plusieurs mois de harcèlement et d’agressions sexuelles caractérisées de la part de deux de ses supérieurs. A plusieurs reprises, la jeune femme, alors âgée de 24 ans, s’est vue réclamer ouvertement des fellations en échange de bonnes évaluations, ses deux agresseurs n’hésitant pas à poser leur main sur sa cuisse ou à lui tirer les cheveux en suggérant une position sexuelle. A l’époque, un de ses collègues, choqué, finit par faire un signalement au service «Conformité» de la banque. La victime livre alors un récit circonstancié à la direction des ressources humaines, qui la reçoit longuement mais la dissuade de prendre un avocat. Discrètement réglée en interne, l’affaire est finalement soldée par une simple amende à l’encontre du principal harceleur. Quelques milliers d’euros, selon nos informations, et pas la moindre suspension, alors que le code pénal prévoit jusqu’à cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende pour de tels faits.
Emotion dans les rangs
Jusqu’ici, les communicants de la banque s’étaient bornés à expliquer que les mesures prises en 2012 étaient «appropriées», et que la situation avait été gérée en vertu des standards internes. Mais depuis la parution de notre enquête, relayée par plusieurs sites spécialisés dans la finance, BNP Paribas semble avoir adapté sa défense à l’émotion suscitée dans ses rangs. Dans un message interne diffusé aux 190 000 collaborateurs, que Libération a pu consulter, le patron de la succursale de la banque à Hongkong, où ont été commis les faits, a finalement admis que la sanction prise à l’époque n’était pas à la hauteur du préjudice subi. «Cela m’attriste profondément qu’un cas de harcèlement remontant à 2012 puisse aujourd’hui assombrir votre vision de la banque, écrit Paul Yang. C’est avec le cœur lourd que je confirme que cet incident a bien eu lieu et que la sanction n’était pas assez sévère.»
Une position quelque peu nuancée par un autre message interne posté par le patron du territoire Asie Pacifique, Eric Raynaud. Evoquant de son côté un incident «malheureux et dérangeant», ce membre du comité exécutif de BNP Paribas réaffirme que les sanctions étaient considérées, à l’époque, comme mesurées, tout en admettant qu’aujourd’hui, «le niveau de la sanction pour de tels comportements serait plus élevé». Evitant de préciser qu’il était à l’époque le supérieur direct des deux agresseurs, Eric Raynaud préfère insister sur les valeurs de la banque et le principe de «tolérance zéro» en cas de harcèlement, jugeant bon de rappeler que le comportement de la banque en 2012 avait été parfaitement conforme au code éthique. «Notre priorité a été de permettre à la victime de témoigner et de protéger la victime et le lanceur d’alerte», écrit-il.
«Reste discret»
Contacté par Libération, le lanceur d’alerte en question livre une tout autre histoire que celle narrée aujourd’hui par les pontes de la banque. Témoin de plusieurs gestes déplacés, il a effectivement été le premier à prendre l’initiative de dénoncer les agissements de ses deux supérieurs, comme l’y incitait le fameux code éthique. Dès le lendemain, il est reçu par la DRH, qui commence par lui proposer de l’aider à changer d’équipe, ce qu’il refuse. Jusqu’à ce que son manager direct, un des deux harceleurs, le prenne un jour brusquement à partie pour lui conseiller de quitter le service. «Je n’aurai aucun mal à rendre les choses compliquées», le menace-t-il. Quelques jours plus tard, le lanceur d’alerte reçoit un autre coup de téléphone d’un haut cadre de BNP Paribas à Paris, rencontré quelque temps avant. Cette fois, le responsable lui intime fermement de ne surtout pas ébruiter l’histoire. «Reste discret, insiste son supérieur. Il ne faut pas que ça se sache.» Le salarié sera finalement exfiltré peu après dans une autre équipe. Il a depuis quitté BNP Paribas. Les harceleurs, en revanche, ont tous les deux été promus au sein de la banque.