Interview d'un manager - 26 Avril 2022 |
Notre interview d’un ancien manager d’une équipe Risque a été réalisée en 2021 mais pour des raisons d’anonymat nous avons décidé de retarder la diffusion et de renommer le manager « Nikita ». CGT SG : Comment vous et votre équipe, avez-vous vécu les mouvements de délocalisation ? Nikita : La délocalisation a commencé depuis un certain moment. La Direction te la vendait avec l’impératif de « résilience ». Jusqu’à récemment, sous le terme de résilience, la Direction signifiait le partage des activités entre deux sites, celui de VDF et celui de Lille. Il y avait également une distinction faite entre les types d’activités, ceux qui étaient résilients et d’autres qui ne l’étaient pas. Dans les débuts, sur notre périmètre GTPS, on était à environ 50%/50% entre Lille et VDF, il fallait que les deux sites soient éloignés de plus de 200 km pour éviter des risques systémiques et blablabla…. Et au fur et à mesure du temps, l’entreprise mettait de plus en plus d’activités en Inde et constituait des équipes sur place avec un manager de transition. C’est là où je me suis aperçue qu’ils allaient envoyer un maximum d’activités là-bas car des structures dédiées et organisées pour la délocalisation avaient été mises en place. En termes de timing, la résilience entre Lille et VDF s’étalait sur la période 2014 à 2017. A partir de 2017/2018 la SG a commencé à transférer massivement des activités en Inde. Au commencement, on nous a présenté la délocalisation comme une réponse au besoin de la continuité des activités, puis les activités situées à Lille partaient progressivement vers l’inde. CGT SG : Au niveau des discours, est-ce que l’on est toujours sur un besoin de résilience ? Nikita : Oui on est toujours dans un discours de résilience mais d’autres raisons ont été données : Satisfaction des clients, Optimisation des plages horaires, Continuité d’activité 24h/24h. Avant, ici à VDF, on avait des équipes de nuit à qui on devait payer des heures supplémentaires etc… On nous avait également donné des raisons règlementaires : « Si jamais un site tombe, un autre doit pouvoir prendre la relève. » CGT SG : Et l’argument de la pénurie de main d’œuvre dans un trop faible bassin d’emploi ? Nikita : Non, pas ici à VDF mais ça a été le cas pour Lille mais cela n’a pas été l’argument principal. On a tous compris que sous couvert de raisons évoquées il y a d’abord une recherche de réduction massive de coûts. Je vais donner un exemple. A un moment donné, la SG s’est fait remonter les bretelles par les régulateurs pour des problèmes de réglementation et de conformité, suite à quoi ils ont mis en place le programme Lafayette et le programme PCT pour lesquels, les équipes qui travaillent sur le risque ont bossé comme des malades pendant environ deux ans. On a été hyper-sollicités et la situation était si difficile qu’on était tous sur le point de péter un câble. Nos équipes ont passé en revue 175 processus de contrôles de surveillance permanente de notre périmètre sur les 600 au global, avec une certaine méthode et en les accrochant à des process plus globaux. Nous avions réalisé ainsi un travail titanesque de mise à plat et d’homogénéisation des processus de contrôles de surveillance permanente. Sur le moment, on se disait que tout ça c’était à cause de la BCE qui mettait la pression sur la SG, suite aux histoires d’embargo des US. Mais en fait, à l’issue du programme PCT, nos managers ont créé une cellule risque là-bas en Inde. Ils nous ont expliqué gentiment que les managers en France ont autre chose à faire que de réaliser des tâches sans valeur ajoutée qui sont les contrôles de surveillance permanente. Ils ont signé un contrat pour transférer les contrôles de surveillance permanente à Chennai. Non seulement pour le périmètre de Lafayette mais pour l’ensemble des 600 contrôles de surveillance permanente. CGT SG : Vous voulez dire que les managers ont prétexté un problème réglementaire pour vous faire faire les travaux préparatoires pour la délocalisation des activités de contrôle de surveillance permanente ? Nikita : C’est exactement ça ! A l’issue de nos travaux dans le programme PCT, n’importe qui pouvait les réaliser grâce à notre description détaillée sous forme de mode opératoire. Après deux années de travail d’arrache pied, sous prétexte règlementaire, on s’est aperçu que c’était pour tout transférer en Inde. CGT SG : Quelles sont les conséquences sur les équipes en charge des activités transférées ? Nikita : Au quotidien, tu signes pour un certain poste, avec un certain nombre de tâches à effectuer. Je vais donner quelques exemples. Avant le transfert, la sensibilisation des correspondants des systèmes d’information se faisait en France à travers des campagnes qui nécessitent des réflexions et des préparations. Aujourd’hui, pour recertifier des droits, tu as un message automatique qui arrive ; pour lancer une campagne de sensibilisation, tu as un message automatique ; pour la communication, c’est remplacé par la communication Groupe. Au fur et à mesure du temps, on s’apercevait qu’on avait de moins en moins de choses en main. Au final, on savait très bien ce qui nous arrivait. La SG a beau nous raconter n’importe quoi, son but était de faire un maximum d’économies. Et de nouveau, on nous explique que nous allons rejoindre la même filière RISQ, à cause d’un soit disant rapport d’audit, pour faire ce que nous faisons aujourd’hui dans différentes entités. En réalité, c’est encore pour faire moins, moins, moins en termes de nombre de postes. CGT SG : Comment réagissent les personnes concernées ? Nikita : Concernant mon équipe, ils nous ont laissé tranquille pendant 3 mois, jusqu’à ce que je quitte le service. Puis ils n’ont pas arrêté d’inonder mon équipe de millions de tâches disparates. D’après mon expérience et ce que je suis en train de voir, c’est que la filière RISQ va se vider d’ici peu, la plupart des activités RISQ va se délocaliser à un moment ou un autre. Ils diront ce qu’ils voudront. Lors d’un échange, ils ont dit que les RISQ vont continuer à exister en France, mais je n’y crois pas une seconde. Quand tu crées une structure de RISQ à Chennai avec un contrat pour 600 processus des contrôles de surveillance permanente, ce n’est pas fait pour faire des choses à moitié. De plus la SG ne compte pas s’arrêter là, elle est déjà sur la prochaine étape, je faisais partie des groupes de réflexion sur l’automatisation des processus et le recours à l’intelligence artificielle pour encore abaisser les coûts de salaires. Très rapidement, à la fin de la première année après transfert, 20% des SP (surveillances permanentes) seront automatisés. CGT SG : Dans les vagues de délocalisation qui ont touché anciennement OPER ou GBSU, aujourd’hui on a pu constater une dégradation de la qualité des traitements dans les débuts, ce qui a nécessité des contrôles accrus des services en France pour aboutir à la mise en place à une structure de contrôle dédié qu’est le service dit « Oversight ». Qu’en est-il pour votre service après le transfert ? Nikita : Oui, c’est bien le cas chez nous. Lors des transferts et juste avant le confinement du Covid en 2021, la Direction a envoyé des équipes en Inde pour les former pendant quinze jours à un mois. Pour les traitements opérationnels, les équipes françaises faisaient doublon. Les équipes indiennes réalisaient leurs tâches sous surveillance des équipes françaises qui repassaient derrière en mode « validation quatre yeux ». Après cette période de formation et de « parallèle run », la montée en charge des équipes indiennes a été progressive, et aujourd’hui elles sont totalement autonomes. L’ensemble des processus ont été découpés en tâches élémentaires par nos soins, il n’y pas de soucis pour les confier à quelqu’un d’autre en plus avec des formations adéquates et le système de double contrôle au début. Toutes les activités délocalisées ont suivi ce schéma opératoire. CGT SG : Comment fait la SG pour occuper les services en France une fois que ces activités transférées sont reprises de manières autonomes en Inde ? Nikita : Dans un premier temps, le discours de la SG consistait à dire que les activités transférées sont surtout celles occupées par les prestataires, par conséquent, les transferts ne retiraient pas le boulot en France. Je vais donner un exemple sur GTPS/GFL où on a une équipe entièrement composée de prestataire, partagée entre VDF et Lille. Aujourd’hui, toute cette activité se trouve en Roumanie. C’est une méthode courante, le recours à la prestation avant la délocalisation. CGT SG : Cette méthode permet en plus de passer sous les radars, de ne pas présenter les projets aux IRP sous prétexte qu’ils ne concernent pas les salariés SG. Nikita : C’est ça ! C’est se fiche de la « gueule du monde ». Lorsqu’ils (la direction SG) mettent des prestataires dans les postes dont tu as les compétences en interne pour les occuper, puis, qu’ils les délocalisent, c’est autant de postes qu’ils ne créent pas en France. Maintenant, ce qu’ils te vendent, c’est que les salariés en Inde, à Bucarest ou ailleurs, sont des salariés de la Société Générale. Nous sommes en train de vivre ce qui s’était passé pour le secteur industriel et avec les conséquences à moyen et à long termes pour l’emploi dont nous avons tous connaissance. CGT SG : Ce sont donc des pans de métiers qui seront amenés à disparaître en France ? Nikita : Oui, tout ce qu’ils identifient comme soit disant sans valeur ajoutée. A moyen terme, je pense qu’une très grande partie des activités de GTPS/GFL que je connais bien vont être délocalisées. Va rester sans doute la partie SI mais avec le projet Yoga dans le cadre de la fusion CDN/BDDF. Même cette partie SI va être fortement impactée par la réduction de coûts et donc de suppressions de postes. Dans un premier temps, il va y avoir de l’activité avec la récupération des flux du CDN, mais après la reprise, ça va être terminé ! Avec le nouveau maillage, on aura de moins en moins d’agences dans le réseau et pendant ce temps là, on continue de délocaliser et à automatiser dans les Centraux, on va assister à la réduction drastique du nombre de postes à la fois dans les centraux et dans le réseau. Mais la délocalisation n’est pas la seule menace pour les salariés, il y a aussi des externalisations. La SG nous a fait travailler, il y a deux ou trois ans, sur un plan de rétablissement en cas de défaillance d’un prestataire et comment on peut le remplacer vite fait. Mes collègues et moi, on s’est posé des questions lorsque la Direction nous a demandé de faire le même travail sur des services internes. Je vous donne un exemple, « Si demain on n’a plus de SEGL/JUR, qui peut le remplacer ? » Plus clairement, « Quel cabinet de juriste extérieur est apte à reprendre les activités de SEGL/JUR ? ». Après nous, il me semble que c’est un service de DFIN qui a repris le dossier. CGT SG : Depuis l’externalisation d’OPER (APTP) et la délocalisation des activités des back offices en 2012, la SG a franchi une nouvelle étape selon vous ? Nikita : Très clairement ça s’est accéléré ! Je faisais partie des réunions avec des grands cadres des BU/SU où je préférais me taire car je voyais très bien ce qu’ils étaient en train de faire. Je me souviens des discussions qui portaient sur des charges insignifiantes comme pour certains types de contrôles dont la totalité chez GTPS ne donnait que 2 ETP en Inde, ils en sont là ! A chaque réorganisation on avait son lot de délocalisations et ça risque de perdurer dans le temps. Avec la crise du Covid, les salariés ont porté beaucoup d’espoir sur le télétravail mais il ne faut pas qu’ils se leurrent. Dès lors qu’on peut faire une activité par le télétravail, on peut tout aussi bien la délocaliser sans souci. CGT SG : Ce que tu peux faire faire à 10km, tu peux le faire faire à 1000 km ? Nikita : Exactement ! Une fois que nous avons fait l’analyse des risques sur une activité, s’il n’y a pas de risque de le faire à distance, c’est clair que ça peut partir en Roumanie ou à Chennai. Je suis une fervente défenseure du télétravail en temps normal car c’est super de ne pas devoir prendre les transports, ça redonne un équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Le problème c’est que la SG l’utilise pour autre chose que le bien être des salariés. Premièrement, ils veulent faire des économies dans l’immobilier avec le flex work qui permet de diminuer le nombre de bâtiments et deuxièmement, effectivement si tu peux bosser à 10 km tu le peux aussi à 1000 km. En introduisant le télétravail, les entreprises répondent au problème d’équilibre vie professionnelle et vie privée et de transport tout en introduisant un moyen de faire jouer la concurrence des salaires entre la France et un autre pays. CGT SG : Et au quotidien, comment les membres de votre équipe réagissent face à la perte de leurs activités ? Nikita : J’ai eu des retours de salariés très inquiets pour la suite. Ils (la Direction SG) pressent les gens à saisir dans leur outil ACE lorsqu’ils ont 3 ou 4 ans d’ancienneté dans le poste. Comme ça, les managers qui ont des besoins pourront sélectionner leurs candidats potentiels. En attendant d’avoir un nouveau poste, les équipes qui s’occupaient des activités opérationnelles n’ont plus grand chose à faire. Et comme c’est tout un secteur d’activités qui disparaît avec la délocalisation, c’est moins simple de se reclasser. La mobilité ne permet plus de répondre au problème de reclassement des salariés en tenant compte de leurs choix d’évolution ou de trajectoire de leur carrière. La délocalisation concerne l’ensemble des activités. Tous les BU/SU sont concernés, GTPS, GBSU, RISQ, CPLE… partout on fait le même constat. Pour un poste intéressant, on va avoir de multiples demandes, les gens vont finir par se battre pour avoir un poste. J’ai deux ou trois collègues qui ont mis plus de deux ans pour trouver un poste. Certain ont même renoncé à leur mobilité car ils ne trouvent pas de poste. Je voudrais apporter un autre sujet qui m’a impactée et que les gens n’osent plus du tout dire, c’est le niveau d’anglais dans mon milieu de travail qui est très insuffisant pour ne pas dire complètement nul. Au fur et à mesure des délocalisations, les échanges se font désormais qu’en anglais, on s’écrit des mails en anglais. Lorsqu’on assiste à une réunion dans laquelle il y a un anglophone, alors ce sera inévitablement en anglais. Résultat des courses, tu te sens de plus en plus éloigné de ton travail, tu comprends de moins en moins ce qui se passe. CGT SG : La solution peut être des formations renforcées de langue ? Nikita : Non, car ce n’est même plus un problème de formation. Si tu as des jeunes diplômés qui ont la vingtaine et qui parlent couramment l’anglais ou qui doivent le compléter par des formations pour le parfaire, cela a du sens. Mais quand tu a des salariés qui ont 20, 30 ans de boîte ou qui sont proches de la retraite ou qui ont quitté l’école depuis très longtemps, tu as beau leur donner des formations, il y a très peu de chances qu’ils deviennent bilingues. Moi-même, j’ai fait plusieurs formations en anglais, je suis nulle en anglais et ce n’est pas parce que tu vas me mettre 18h d’anglais que je vais devenir « Fluent ». Quand tu as en face de toi, dans des réunions, des Indiens qui parlent anglais, et qui le parlent très bien ailleurs, tu as déjà du mal à comprendre un anglais qui parle anglais alors tu laisses tomber ! Les seuls moments où je comprends à peu près c’est lorsqu’un français parle anglais car je connais l’accent. Sinon le reste du temps tout le monde faisait semblant, tout le monde ! Je me souviens les toutes premières fois où personne ne disait rien, il n’y avait que moi qui faisais des remarques sur des problèmes liés à l’emploi de l’anglais dans des réunions. J’ai même des collègues qui m’envoyaient discrètement des messages par Skype pour me remercier d’être intervenue car ils avaient les mêmes soucis. On voyait bien que tout le monde faisait semblant, personne n’osait le dire que l’anglais en réunion posait problème. Au bout d’un moment, j’ai commencé à réagir car cela devenait abusif, on ne t’envoyait même plus de mails en français, j’ai rappelé sans cesse la Loi Toubon. On a fini par me dire, « tu ne te rends pas compte, tu es dans une entité internationale et il va falloir t’adapter ». Comme je disais, quand tu as 20 ans tu peux t’adapter mais quand tu as quitté l’école il y a 20 ou 30 ans ce n’est simplement pas possible. Et tu auras beau les mettre sur « Go Fluent » pendant 20h de cours, ils ne seront jamais bilingues. Il y a là aussi un moyen pour l‘entreprise pour se débarrasser des anciens qui ne correspondent plus trop à leur salarié idéal. Quand je regarde la bourse des emplois aujourd’hui, je compare par rapport aux offres que je voyais il y a seulement deux ou trois ans. Il y a trois ans, je comprenais le contenu du poste dans les annonces, tandis qu’aujourd’hui si tu regardes les annonces, tout ce que tu comprends c’est qu’ils ont besoin des compétences en SI et de l’anglais, pour le reste ils le zappent. CGT SG : Pensez-vous que c’est une manière structurante de filtrer et d’empêcher des salariés dits « anciens » aux offres d’emplois ? Nikita : Je vais prendre mon cas pour exemple. Moi qui suis très active dans des réunions, qui représentais un grand périmètre et qui allais partout sur des sujets chauds, dès lors que c’est passé en anglais, je ne me reconnaissais plus. Faire acte de présence, ne rien comprendre et avoir la trouille de se faire interpeller parce que tu as du mal à aligner trois phases en anglais, était une situation inconnue pour moi. Autant à l’écrit je me débrouille sans souci comme tout le monde, autant c’est le stress total à l’oral. Et pour les programmes que j’avais cités, Lafayette, PCT, tout a été fait en anglais. CGT SG : Merci beaucoup pour notre échange et pour la qualité de votre témoignage c’est une grande preuve de courage. Et de votre côté, que nous conseillez-vous pour accompagner au mieux les salariés ? Nikita : Je connais votre syndicat depuis longue date, et merci pour le travail que vous faites mais je connais aussi les limites de l’activité syndicale aujourd’hui. Je pense qu’il faut continuer à parler vrai comme vous le faites. Vous pouvez utiliser l’humour et des informations pragmatiques pour montrer la situation dans toute sa réalité. Des chiffres montrant des suppressions d’emplois, le nombre de postes délocalisés. Des informations parlantes qui interpellent tout le monde. |
Délocalisation à Risque - interview 26 avril 2022
- Détails
- Écrit par : Philippe FOURNIL
- Catégorie : d - Emploi
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