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Marché du travail : l’obsession de la flexibilité

La réforme du droit du travail serait une nécessité pour endiguer le chômage. Le discours est bien rodé, mais il ne tient pas à l'analyse.

Le gouvernement semble n’avoir comme seul horizon qu’une énième réforme du droit du travail. Il faut dire que malgré un euro faible et un prix du pétrole bas, la croissance est atone et le chômage ne recule pas. Les allègements de charges du pacte de responsabilité n’ont, à ce jour, pas débouché sur les créations d’emplois attendues. La relance de l’apprentissage et des emplois aidés ne suffit pas à renverser la tendance. Contre le chômage, on aurait donc tout essayé, sauf... une refondation de la législation du travail.

Rengaine patronale

Cette relation de cause à effet est pourtant difficile à étayer. Historiquement, d’abord. Il y a quarante ans, le code du travail hexagonal était à bien des égards plus rigide qu’aujourd’hui, sur le temps de travail ou les contrats à durée déterminée (CDD) notamment, et pourtant le taux de chômage dépassait à peine les 5 % en 1980, contre plus de 10 % aujourd’hui. Mais aussitôt que la courbe du chômage a commencé son ascension, les rengaines sur la dérégulation du marché du travail n’ont plus cessé.

En 1984, Yvon Gattaz, le père de Pierre, l’actuel patron du Medef, alors lui-même à la tête du patronat, proposait déjà des "emplois nouveaux à contraintes allégées"au gouvernement socialiste de Pierre Mauroy. Ces "Enca", qui n’ont jamais vu le jour, pouvaient être facilement rompus et ne devaient pas être comptabilisés dans les effectifs pour ne pas alourdir les seuils sociaux. Depuis, la logique n’a pas varié : pour le patronat, assouplir les conditions du licenciement redonnerait un coup de fouet au marché de l’emploi.

En 1986, une loi Delebarre ouvrait déjà des possibilités de déroger à la législation sur le temps de travail grâce à des accords de branche. Et chaque gouvernement ensuite a ajouté sa couche d’allègements, d’exemptions et de dérogations. Si le code du travail est devenu au fil du temps de plus en plus épais, ce n’est pas parce qu’il est devenu de plus en plus protecteur des salariés mais, au contraire, parce que leurs droits ont été de plus en plus vidés de leur substance par une foule de règles ad hoc obtenues du législateur par un intense lobbying patronal...

Un lien inexistant

La comparaison avec les autres pays n’est guère probante non plus. Les pays les plus pauvres et qui ont le plus de mal à se développer "bénéficient" en général d’un droit du travail minimaliste et de conditions de licenciement très flexibles. Quant aux pays développés, ceux qui connaissent le plus de difficultés aujourd’hui sont aussi ceux qui ont le plus réformé leur droit du travail depuis le début des années 2000. Selon l’indicateur Labref de la Commission européenne (voir graphique), qui recense les réformes du marché du travail, la France a initié 17 réformes entre 2000 et 2013 sur la seule protection de l’emploi (CDI, CDD, intérim, licenciements collectifs...). C’est quasiment autant que le Royaume-Uni (18), tandis que l’Italie en a voté 47, l’Espagne 39 et la Grèce 23. A contrario, l’Allemagne et la Suède en ont voté seulement six. Dans cette Allemagne qui sert si souvent de modèle dans ces domaines, il est certes devenu aisé de recruter des salariés avec des sous-statuts d’emplois (mini-jobs), mais il est toujours nettement plus difficile qu’en France de licencier un salarié en CDI ou de faire un plan social, selon les indicateurs établis par l’OCDE.

Si le fait d’assouplir la législation du travail levait les freins à l’emploi, "on aurait dû constater un effet de toutes les politiques mises en place depuis quatre décennies dans l’ensemble des pays développés qui ont cherché à casser, une à une, ces rigidités", conclut l’économiste Philippe Askenazy1.

Alors pourquoi ce manque de résultats ? Pour nombre de promoteurs d’un remaniement du code du travail, nous ne serions pas allés suffisamment loin encore dans les réformes. Pour l’économiste, ce n’est pourtant pas la rigidité du droit du travail qui crée du chômage, mais plutôt cette quête de dérégulation qui en est l’une des causes. "Avant les basculements des années 1980, une personne en CDI restait dans l’entreprise lorsqu’il y avait une baisse d’activité. Aujourd’hui, on va préférer prendre un CDD, le transformer en chômeur pris en charge par la collectivité lorsque les carnets de commandes se vident et le reprendre ensuite en CDD. En permettant toute une série de contrats flexibles, on a très probablement créé une part non négligeable du chômage."

Une communication savamment orchestrée

Pourtant, la loi Sapin de 2013 sur la sécurisation de l’emploi, la loi Macron sur la croissance et celle de François Rebsamen sur le dialogue social sont à peine votées qu’il est déjà question d’enfourcher de nouveaux chevaux. Le Premier ministre s’est engagé à ce qu’un projet de loi sur la réforme du marché du travail - qui intégrerait la mise en oeuvre du compte personnel d’activité - soit présenté à la fin de l’année pour un examen courant 2016. Tandis qu’une loi "Macron 2" est également en préparation (voir encadré).

Il faut dire que les discours sur la nécessaire réforme du code du travail ne se sont jamais aussi bien portés : ouvrages et rapports se sont succédé ces derniers mois. En juin, l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter et le juriste Antoine Lyon-Caen lançaient les premiers un pavé dans la mare en publiant Le travail et la loi (Fayard) : il faut refondre le code du travail - à droit constant - en le réduisant à 50 grands principes, affirment-ils, à décliner ensuite par voie législative ou conventionnelle grâce à des accords entre les partenaires sociaux.

Le 1er septembre, l’Institut Montaigne, think tank proche du patronat, dévoilait ses douze propositions chocs pour faire de "l’accord d’entreprise la norme de droit commun de fixation des règles générales des relations de travail". Autrement dit, asseoir la primauté de l’accord signé au plus près du terrain sur la loi qui s’impose à tous. Le lendemain, c’était au tour du think tank progressiste Terra Nova de rendre public un rapport commandé à l’économiste Gilbert Cette et au juriste Jacques Barthélémy. Parmi les pistes de réforme figurent le renforcement de la négociation collective (de branche et d’entreprise) et la généralisation de l’accord majoritaire (signé par des syndicats ayant réuni 50 % des suffrages et non plus 30 %) qui s’imposerait au contrat de travail individuel .

Enfin, le 8 septembre, la commission présidée par Jean-Denis Combrexelle parachevait ce feu d’artifice. L’ancien directeur général du Travail formule 44 propositions qui se déclinent selon deux calendriers. Quatre ans pour réécrire un code du travail qui change trop souvent, réduire le nombre de branches professionnelles de 750 à une centaine, former et outiller les négociateurs, aussi bien patronaux que syndicaux. Mais face à l’urgence de la situation économique, la commission propose que, dès 2016, branches professionnelles et entreprises puissent négocier des accords majoritaires en matière d’emploi, de salaires, de conditions et de temps de travail.

 
Taux de chômage (en %) en juin 2000 et juin 2015 et nombre de réformes sur la protection de l’emploi (contrats de travail, intérim...) et sur le temps de travail entre 2000 et 2013
TAUX DE CHÔMAGE (EN %) EN JUIN 2000 ET JUIN 2015 ET NOMBRE DE RÉFORMES SUR LA PROTECTION DE L’EMPLOI (CONTRATS DE TRAVAIL, INTÉRIM...) ET SUR LE TEMPS DE TRAVAIL ENTRE 2000 ET 2013
 

La loi deviendrait supplétive et circonscrite à un "ordre public social" englobant la santé, la sécurité et le respect de la dignité des salariés, la durée maximale du temps de travail (48 heures hebdomadaires, selon les principes communautaires en vigueur) et le Smic. Tout le reste serait donc renvoyé à la négociation collective. Les entreprises auraient ainsi tout loisir de négocier l’organisation du temps de travail (ce qu’elles peuvent en réalité déjà faire) mais aussi, et c’est sans doute là que réside la vraie nouveauté, le niveau des rémunérations. Un accord majoritaire - et temporaire - pourrait par exemple définir des indemnités de licenciement inférieures à celles de la convention collective.

La charrue avant les boeufs

Pourquoi donner d’ores et déjà autant de poids à la négociation collective alors qu’il faudra du temps pour créer les conditions d’un dialogue social de qualité ? A titre d’exemple, en contrepartie des allègements de charges du pacte de responsabilité, des accords de branche devaient être conclus ; seuls 29 ont été signés. Et peu s’engagent véritablement sur l’emploi. "Croire au dialogue social, c’est un pari pascalien", répond Thierry Pech, directeur du think tank Terra Nova, favorable à une telle évolution. Ce pourrait être en effet pour les syndicats, dont le rôle serait incontestablement revalorisé, l’occasion de retrouver une légitimité et des adhérents.

"Il est urgent d’avancer. Il faut bien commencer par quelque chose", renchérit Jacky Bontems, coauteur avec Aude de Gastet et Michel Noblecourt de l’ouvrage Le moteur du changement. Par le dialogue social et pour un avenir solidaire ! (Lignes de repères-Fondation Jean-Jaurès). "Avec un rapport de force actuel défavorable aux salariés et un patronat qui n’est pas un champion de la négociation, si on ouvre la négociation sans garde-fous, on aura des accords à la baisse, reconnaît cependant l’ancien numéro 2 de la CFDT. Heureusement, il y a l’accord majoritaire et la sanction des urnes. Avec cette contrainte, un délégué syndical ne raisonne plus de la même manière."

Alors, qui de la loi ou de l’accord négocié est le plus à même de protéger les salariés ? Faux débat, estime l’économiste Jacques Freyssinet. "Le discours qui consiste à mythifier le code du travail ne tient pas non plus. A la première alternance, la loi peut être facilement modifiée, bien plus qu’une convention collective. Il faut savoir s’appuyer tantôt sur la loi, tantôt sur la négociation collective." Pour autant, "dans l’état actuel des forces syndicales et du niveau de chômage, permettre à un gouvernement de puiser dans un menu de 44 propositions pour légiférer à court terme sans attendre que l’ensemble soit mis en oeuvre est potentiellement risqué", prévient-il.

  • 1.Entretien réalisé pour le documentaire Déchiffrage sur Arte. Voir AlterEcoPlus : www.alterecoplus.fr/video/flexibiliser-le-marche-du-travail-ne-reduit-pas-le-chomage-mais-peut-au-contraire-laugmenter-201509071621-00002038.html