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Petit mail reçu ce jour et reflet actuel de l'esprit maison :

L'esprit d'équipe est une expression singulière signifiant, à la Société Générale, augmentation individuelle. Cela fait vingt ans que je traîne mes guêtres à la direction de l'informatique de la Société Générale, et je pense avoir mon mot à dire sur l'évolution de la Maison. L'esprit d'équipe, je connais. Ou plutôt : j'ai connu. Les mises en production le week-end ou à 3 heures du matin, le stress des grands projets, les développements à faire en urgence pour répondre au besoin d'un gros client. Cela doit parler à pas mal d'anciens. Même en temps de crise ou de rigueur budgétaire, il nous arrivait de rester de bonne humeur voire même d'aller aider sans rechigner un autre projet qui connaissait des problèmes, quand bien même c'était de sa faute et que nous n'y étions pas obligés. La grande valeur qui nous unissait était sans doute le professionnalisme, que je retrouve aujourd'hui encore avec un grand étonnement dans la Maison, malgré les désastreuses orientations données à l'outil informatique de la Société Générale (notamment dans la banque de détail). J ai vu et connu des collaborateurs se battre pour tenter de sauver ce qui pouvait l'être et faire marcher au mieux des systèmes voués au dysfonctionnement suite à des décisions stratégiques hasardeuses et vouées à l'échec.

Moi, je suis frappé, voire choqué, de cette opposition entre ces collaborateurs si impliqués et si professionnels pour la plupart, et ce quasi-amateurisme dans les prises de décision de nos dirigeants. Je parle de mon expérience, dans mon domaine : la fusion des informatiques de BDDF et de Crédit du Nord a été décidée sur de graves approximations et sur des impressions, plus que sur des analyses sérieuses ou sur une réflexion approfondie. On voit aujourd'hui les dégâts sur notre outil de travail et sur la motivation de tous. Quand les 3/4 des collaborateurs disent qu ils pensent que les objectifs ne sont pas réalistes, il n y a que nos dirigeants pour croire que c'est par paresse, mauvaise volonté ou peur du changement. Et je suis tout autant étonné de voir l'énergie que ces mêmes collaborateurs ont déployé pour essayer quand même de trouver des solutions et faire avancer le projet.

Signe des temps, le Groupe est en train de revoir nos valeurs, et c'est le professionnalisme qui passe à la trappe alors que c'était le seul qui avait encore un sens dans la Maison. A la place, on nous parle de responsabilité et d'engagement, des mots qui doivent plaire dans les cabinets de conseil et sur les plaquettes des actionnaires. L'esprit d'équipe est en pleine déliquescence, et notre professionnalisme est désormais miné par la chasse au gaspi, où l'on pousse l'injonction paradoxale jusqu'à préférer un produit pourri à un produit fiable et fonctionnel, du moment qu il soit livré à l'heure et qu'il contribue à la réduction des dépenses.

Quitte à réduire les dépenses, autant arrêter le projet de tablettes pour tous, ersatz de cadeau qui va se transformer à n'en pas douter en nouvel outil professionnel. Beau cadeau, et bel exemple encore de décision prise à la va-vite. Tout ce qu'on aura eu pour les 150 ans de la Générale, c'est un café dilué avec des croissants rassis (ils avaient 150 ans, eux aussi) et une tablette tactile qui servira au mieux à caler une table ou un bureau. Personne n'en veut, mais tout le monde en aura. Ainsi a-t-on décidé là haut, et ainsi peut-on claironner et fanfaronner devant la presse que l on est à la pointe de la technique et aux petits soins avec ses collaborateurs, en leur donnant le dernier cri de la technologie. Vous n'avez pas le choix ni le droit de discuter. Soyez contents. Et dormez tranquille. On est même obligé de lancer des concours pour trouver une utilité à cette tablette !

Ultime provocation : la disparition du fond E, qu'on nous a tant vanté comme un avantage financier et qui constituait également un ciment entre les salariés et leur entreprise en les rendant actionnaires donc responsables. Mais avoir trop de salariés actionnaires devait également déplaire aux pontes et aux agences de notation. On a dont préférer sacrifier le seul outil permettant à la fois cohésion et complément de revenu, le comble tant que sa valeur était grandement conditionnée par les résultats du Groupe. Vous avez dit esprit d'équipe ?

Le 5 décembre, je ferai donc grève pour la première fois de ma vie. Non pas pour une hypothétique augmentation de salaire, mais pour répondre au mépris et la plus parfaite incompétence des nos hautes sphères. Cela ne me remplit pas de joie, bien au contraire : c'est avec la plus profonde tristesse que je vois nos valeurs, nos vraies valeurs, disparaître.