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Des semaines de 45 heures et des journées de 9, voire 11 heures ; les heures supplémentaires facilitées, tout comme le travail en soirée, de nuit et le week-end ; des horaires connus 24 heures à l’avance ; l’intérim comme seule perspective de carrière… Si la réforme du ministre belge de l’Emploi, Kris Peeters (CD&V), passe, le quotidien de tous les travailleurs belges risque d'être bouleversé.

A Bruxelles, ce mardi matin. © DIRK WAEM / Belga / AFP

Après les salariés italiens et le "Jobs Act" de Matteo Renzi, après les travailleurs français et la loi "El Khomri" dite "loi travail", c'est aux ouvriers belges d'être passés à la moulinette des désirs de "BusinessEurope"(*), association patronale européenne qui défend «des politiques intelligentes qui favorisent la compétitivité mondiale de l'industrie européenne en particulier». Le dernier projet de réforme du ministre belge de l’Emploi, Kris Peeters, s’inscrit dans le cadre d’une offensive globale et concomitante de l’Union européenne sur le Travail.Après ses attaques contre l’indexation des salaires, les pensions et les personnes malades, le Ministre belge s’attaque cette fois à la réglementation du temps de travail. L’objectif est, comme en France, de réduire le coût du travail via l’allongement de la journée de travail, la diminution des salaires et l’augmentation de la flexibilité. 

 (*) Elle regroupe 40 organisations nationales d'entreprises de 34 pays d'Europe dont, pour les pays francophones, le MEDEF en France, la Fédération des Entreprises de Belgique (FEB-VBO) pour les trois régions belges, et la Fédération des entreprises suisses.

L’annualisation du temps de travail

Aujourd’hui, dans de très nombreux secteurs et entreprises, votre semaine de travail est de 38 heures. Sous certaines conditions strictes et négociées avec les organisations syndicales, votre patron peut vous demander d’en faire plus. On appelle cela « les heures supplémentaires ». Il doit les payer plus cher (on appelle cela le sursalaire). Et s’il dépasse certaines limites, il doit en plus vous accorder un « repos compensatoire ». Vous « récupérez » alors vos heures supplémentaires. Ce système de récupération part de l’idée que travailler trop est mauvais pour la santé. Si on dépasse une certaine limite, le travailleur a obligatoirement droit à se reposer. C’est cette limite que le gouvernement veut élargir.Demain, votre temps de travail sera calculé sur l’année. C’est pour cela qu’on parle « d’annualisation ». Concrètement, tant que vous travaillez en moyenne 38 heures par semaine sur l’année, votre patron ne devra pas vous accorder de repos compensatoires. Il pourra par exemple vous faire travailler six mois 45 heures par semaine et six autres mois 31 heures par semaine. En moyenne, vous aurez bien travaillé 38 heures par semaine. Dans la construction, cela signifie travailler beaucoup à la belle saison et rester à la maison en janvier. Dans le commerce, il sera difficile de prendre ses congés en juillet, pour la période des soldes. En revanche, il y aura davantage de congés en mars ou en octobre, quand les enfants sont à l’école et ne peuvent pas partir en vacances.  
Votre patron pourra même vous faire travailler jusqu’à 143 heures supplémentaires, donc en plus de cette moyenne (contre 91 heures jusqu’ici), avant de devoir vous envoyer en récupération. Cela correspond à 17 jours de travail de travail en plus sur une année.

100 heures sup’ : Travailler plus pour… travailler plus

Le gouvernement a également mis sur pied un tout nouveau système d’heures supplémentaires, qui s’ajoute aux systèmes déjà existant. De quoi s’agit-il ? Le nouveau système accorde au patron le droit de négocier individuellement avec chacun de ses travailleurs un paquet de 100 heures supplémentaires (extensible à 360 heures en fonction des secteurs ou entreprises). Ces heures peuvent être prestées à tout moment, tant que la journée de travail ne dépasse pas 11 heures et la semaine de travail 50 heures. Concrètement, avec 100 heures supplémentaires, cela offre aux patrons la possibilité de vous faire travailler 12 jours en plus par an. Avec 360 heures, cela lui offre la possibilité de vous faire travailler 45 heures par semaine toute l’année.

Négocier les heures supplémentaires seul face à votre employeur

Contrairement au système actuel, ce nouveau système ne nécessite aucune motivation ou justification de l’employeur. Aujourd’hui, le patron doit en effet justifier pourquoi il demande des heures supplémentaires (par exemple une surcharge extraordinaire de travail). Et cela doit correspondre aux critères établis par la loi. En outre, actuellement, le patron doit demander l’accord de la délégation syndicale et du service de contrôle des lois sociales, qui peuvent refuser l’introduction d’heures supplémentaires s’ils estiment que les motivations de l’employeur ne sont pas justifiées. Ici, rien de tout ça. Le syndicat est donc complètement mis de côté. Vous vous retrouvez seul face à votre employeur pour négocier ce paquet d’heures. Il n’y a même pas besoin d’une trace écrite. Un simple accord oral est suffisant. Et, cerise sur le gâteau pour les entreprises, ces heures supplémentaires ne doivent pas être récupérées. Elles seront soit payées directement, soit accumulées sur un « compte carrière », sur lequel on peut accumuler des heures supplémentaires ou des jours de congé « à prendre plus tard ». 

L’horaire connu 24 heures à l’avance

En plus de ces mesures, le gouvernement veut faire négocier les organisations syndicales sur une série de mesures pour des catégories spécifiques de travailleurs. Aujourd’hui, 800 000 travailleurs ont un horaire à temps partiel en Belgique. Beaucoup ont un horaire flexible, qui peut varier d’une semaine à l’autre. Leur horaire doit leur être communiqué au moins cinq jours à l’avance, et les  jours et heures de travail sont convenus dans le contrat ou le règlement de travail. Une compensation est prévue pour les heures qui dépassent le temps de travail prévu. La réforme permettra de communiquer les horaires de travail 24 heures à l’avance, de ne pas spécifier dans le contrat les heures et jours de travail, et de supprimer le sursalaire   dans de nombreux cas de dépassement des heures. C’est l’instauration de ce qu’on appelle le « contrat zéro heure », qui touchera majoritairement les femmes.

L’intérim à durée indéterminée

En 2015, près de 100 000 intérimaires travaillaient à temps plein. Un record. Kris Peeters veut faciliter l’intérim et en faire un système fixe. L’idée serait d’avoir une sorte de CDI (contrat à durée indéterminée) avec l’agence d’intérim, qui enverra le travailleur en mission dans les entreprises.
Le travailleur intérimaire qui signera un tel contrat sera dans une situation d’esclavage moderne. Il ne pourra pas refuser une mission sous peine de rupture de contrat. Avec pour conséquence de perdre tous ses droits au chômage. Le ministre précise également que ce travailleur n’aura pas droit au chômage économique en diminution d’activité. Et l’incertitude est complète sur le montant de sa rémunération en cas d’absence de boulot. Ce type de contrat constituera également une menace pour le contrat de travail normal. Les agences d’intérim fonctionneront encore plus comme des bureaux de ressources humaines externalisées, où on pourra aller piocher des travailleurs quand bon il semble et s’en débarrasser à tout moment. Finalement, ces contrats constituent une menace pour l’action sociale. Les patrons et le gouvernement réclament en effet que les intérimaires puissent travailler en cas de grève. « La production, le chiffre d’affaires et la marge bénéficiaire doivent être accrus, tandis que les coûts doivent être réduits. » Voilà comment Kris Peeters défend sa réforme du travail. En clair : tout doit aller au profit des grandes entreprises, et les travailleurs doivent s’y soumettre à tout prix. C’est bien là le sens de sa réforme. Les travailleurs valent  mieux que ça.

La mise hors-jeu des syndicats

De nombreuses mesures de la réforme du travail impliquent que les travailleurs négocient individuellement avec leur patron, et non plus via des conventions collectives ou des accords négociés avec les syndicats. Or un travailleur n’est individuellement pas l’égal de son patron dans une négociation. Surtout quand il y a 600 000 chômeurs qui attendent pour avoir un emploi. Les négociations individuelles avec le patron instaurent aussi un rapport concurrentiel avec les collègues (entre ceux qui acceptent des heures en plus, entre ceux qui reçoivent des heures en plus…). C’est le type de relation qui prévalait au 19e siècle, avant le développement du mouvement ouvrier organisé. L’organisation collective des travailleurs en syndicats a permis de conquérir de nombreux droits. Ces mêmes droits que le gouvernement est en train de mettre en pièces : allocations de chômage, pensions, congés payés, journée de 8 heures… Pour casser ces acquis, le gouvernement et le patronat veulent aussi casser ce qui les a rendus possibles. C’est pourquoi les syndicats sont mis au maximum hors-jeu, en définissant un cadre légal le plus large et le plus flexible possible pour faire descendre la négociation au niveau le plus bas possible : d’abord les secteurs, ensuite l’entreprise et, enfin, le travailleur lui-même.

Source :

http://ptb.be/articles/pas-touche-la-semaine-de-38-heures

Auteurs : Benjamin Pestieau et Alice Bernard

http://ptb.be/articles/5-raisons-pour-dire-non-la-loi-peeters