Le fait est inédit. Lundi, Emmanuel Macron a appelé les banques européennes à se marier entre elles. Dans une interview accordée à l'agence Bloomberg en marge du sommet Choose France qui réunissait à Versailles des investisseurs du monde entier, le chef de l'État s'est même dit ouvert au rachat d'un établissement français par un rival européen.
« Nous avons besoin d'une consolidation et nous avons aussi besoin d'un vrai marché domestique (européen) (…). L'énergie, la finance et les télécoms sont les secteurs clés où un marché unique n'existe pas », a expliqué Emmanuel Macron. Interrogé sur la possibilité qu'une banque européenne, comme l'espagnole Santander, rachète un établissement français comme Société générale, le président de la République n'a pas hésité : « Oui bien sûr, c'est possible, a-t-il répondu. Cela fait partie du marché. Agir en Européens signifie avoir besoin de consolidation en tant qu'Européens. » La franchise d'Emmanuel Macron a quelque peu surpris. Elle tranche avec la volonté habituellement affichée par les dirigeants politiques de protéger les fleurons nationaux. Or, la réponse du président a laissé entendre que la France serait prête à laisser partir un champion bancaire comme Société générale. « C'est comme si le président avait mis un panneau "à vendre" sur la Société générale », ironise un analyste financier. Cette interprétation a d'ailleurs dopé mardi l'action de la banque au logo rouge et noir qui a terminé en tête de l'indice CAC 40 (+ 3,79 %).
« C'est un peu surprenant qu'un président se prononce sur un cas spécifique », souligne un observateur du secteur bancaire. « C'est un peu irresponsable. Il s'est pris les pieds dans le tapis, il s'est fait avoir par la question », lâche de son côté une source qui connaît bien la Société générale. Compte tenu de sa faible valorisation boursière, la banque de la Défense est de fait régulièrement perçue comme une proie potentielle en Europe. Avec une capitalisation boursière de 21,8 milliards d'euros, elle se paie six fois les résultats, contre 7,4 fois en moyenne pour l'ensemble du secteur bancaire du Vieux Continent. La capitalisation de BNP Paribas est de 80,8 milliards et celle de Santander de 75,3 milliards. « Dans la vraie vie, on peine à se dire que le gouvernement n'interviendrait pas si la banque était attaquée par un établissement étranger », ajoute une source bancaire.
Mardi, l'Élysée a minimisé la portée des propos d'Emmanuel Macron. « Il n'y a aucun projet de rachat de Société générale, a insisté son entourage. Le président a
seulement répondu à une question théorique portant sur l'union des marchés de capitaux et l'union bancaire. » Dans certaines grandes banques, on se voulait rassurant en soulignant que le chef de l'État avait voulu donner un coup d'accélérateur à ces sujets.
« Fusions transfrontalières » « Société générale est bien trop grosse pour être véritablement la cible potentielle d'une rivale européenne, pointe de son côté Jérôme Legras, responsable de la recherche chez Axiom AI. Les dirigeants de banques n'ont pas d'appétit pour les fusions transfrontalières car elles restent difficiles à réaliser et comportent beaucoup d'inconvénients. » De fait, l'union bancaire n'est toujours pas achevée. Il manque la dernière brique, une assurance-dépôts commune ; l'Allemagne et d'autres freinent, arguant que leurs épargnants ne devraient pas être tenus pour responsables des pertes subies par les banques d'autres pays. Dans ce contexte, les transferts de capitaux restent difficiles en Europe. « Dans chaque État membre, les superviseurs nationaux imposent aux banques de constituer lo- calement des réserves de capital et de liquidités. Ce qui empêche les banques de générer des synergies », explique Rafael Quina, Senior Director chez Fitch Ratings. Les synergies ne sont d'ailleurs pas faciles à réaliser, car elles passent notamment par des suppressions de postes. C'est pour cette raison que le gouvernement espagnol s'est récemment opposé à l'OPA hostile lancée par BBVA sur sa rivale Sabadell. Autre frein, « quand une banque grossit, la régulation lui impose d'augmenter ses capitaux réglementaires, ce qui n'est pas simple », ajoute Jérôme Legras.
Il reste que, depuis plusieurs années, de nombreuses voix plaident pour un secteur bancaire européen plus concentré autour de quelques acteurs. Hormis la britannique HSBC, aucune banque européenne ou du Royaume-Uni ne figure parmi les 15 premiers établissements mondiaux en termes de capitalisation boursière. Mais, les profits records enregistrés ces deux dernières années par nombre d'établissements grâce à la remontée des taux d'intérêt leur donnent plus de marges pour des grandes manoeuvres. « La BCE a exprimé depuis plusieurs années le souhait d'une plus grande consolidation du secteur bancaire européen. Le président Macron reprend ce leitmotiv », souligne Arnaud Bourdeille, associé chez KPMG, responsable du secteur banque. ¦
Danièle Guinot
Le siège de la banque Société générale, dans le quartier des affaires de la Défense (Hauts-de-Seine). Nathan Laine/Bloomberg